Château-Thierry
Livre IV, Fable 2
Du rapport d’un troupeau dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d’Amphitrite [1] :
Si sa fortune était petite,
Elle était sûre tout au moins.
A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu’il vendit son troupeau,
Trafiqua [2] de l’argent, le mit entier [3] sur l’eau.
Cet argent périt par naufrage.
Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis,
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage :
Celui qui s’était vu Coridon ou Tircis [4]
Fut Pierrot et rien davantage.
Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine ;
Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre :
Ma foi, vous n’aurez pas le nôtre.
Ceci n’est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité
Pour montrer par expérience,
Qu’un sou quand il est assuré
Vaut mieux que cinq en espérance [5] ;
Qu’il se faut contenter de sa condition ;
Qu’aux conseils de la mer et de l’ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s’en louera, dix mille s’en plaindront.
La mer promet monts et merveilles :
Fiez-vous y, les vents et les voleurs viendront.
Sagesse et prudence dans la gestion de nos biens,
c’est le conseil de La Fontaine ...
[1] un habitant du bord de mer. Amphitrite est la
déesse grecque de la mer, épouse de Poséidon
[2] fit du commerce maritime avec l’argent de la vente
[3] le plaça entièrement
[4] noms de bergers dans "Les Bucoliques" de Virgile
Ils sont propriétaires de leurs troupeaux, alors que le
nom de Pierrot est réservé au paysan
[5] allusion à la propagande faite pour la Compagnie des Indes qui fut liquidée en 1672
" Un tiens, vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras"
Du rapport d’un troupeau dont il vivait sans soins,