Château-Thierry
Livre I, fable 22
Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser [1] la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure [2]
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir [3].
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine, [4]
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts. [5]
[1] des motifs pour...
[2] par hasard
[3] l’aquilon est un vent du nord, violent et froid, le zéphyr un vent léger et agréable.
[4] celui dont la tête était voisine du ciel
[5] Plusieurs expressions sont tirées de Virgile dans cette fable. Déjà, La Fontaine faisait allusion à l’image finale dans la quatrième lettre à sa femme, de son voyage en Limousin, lorsqu’il parle des tours du château d’Amboise :
" Elles touchent, ainsi que les chênes" dont parle Virgile.