Château-Thierry
Livre VII, fable 9
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche. [1]
Femmes, Moine, Vieillards, tout était descendu.
L’attelage suait, soufflait, était rendu. [2]
Une Mouche survient, et des Chevaux s’approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’elle fait aller la machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine,
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille [3] allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ; [4]
Qu’aucun n’aide aux Chevaux à se tirer d’affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :
J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S’introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
[1] voiture posée sur quatre roues, qui est en forme de carrosse, à la réserve qu’il est plus grand et qu’il n’est point suspendu (dict. de Furetière, 1690)
[2] épuisé
[3] Officier considérable qui, dans un jour de combat, reçoit du général le plan et la forme qu’il veut donner à son armée...(Richelet)
[4] les efforts