Château-Thierry
Livre II, fable 12
L’autre exemple est tiré d’Animaux plus petits.
Le long d’un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l’eau se penchant une Fourmis y tombe ;
Et dans cet océan l’on eût vu la Fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité ;
Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant [1] qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant par hasard avait une arbalète.
Dès qu’il voit l’Oiseau de Vénus [2],
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,
La Fourmis le pique au talon.
Le Vilain retourne la tête.
La Colombe l’entend, part, et tire de long [3].
Le soupé du Croquant avec elle s’envole
Point de Pigeon pour une obole [4]
[1] gueux, misérable, qui n’a aucun bien, qui
en temps de guerre n’a pour toutes armes qu’un croc. Les paysans qui se révoltent sont de pauvres croquants." (Furetière)
[2] la colombe était consacrée à Vénus.
[3] s’enfuit
[4] l’obole est une ancienne monnaie valant la moitié d’un denier et par extension une modeste contribution financière. On dirait aujourd’hui : "Point de pigeon pour un centime : pas le moindre pigeon "
De plus, La Fontaine a volontairement établi une dépréciation
depuis "l’oiseau de Vénus" en passant par "la colombe"
pour finir en "pigeon-soupé".
Il ne faut pas rêver, on n’a rien ... pour rien !