Château-Thierry
Il est un jeu divertissant sur tous.
Jeu dont l’ardeur souvent se renouvelle :
Il divertit & la laide & la belle.
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux :
Devinez donc comment ce jeu s’appelle.
Le beau du jeu n’est connu que de l’époux ;
C’est chez l’Amant que ce plaisir excelle :
De regardant pour y juger des coups,
Il n’en faut point, jamais on ne s’y querelle.
Devinez donc comment ce jeu s’appelle.
Qu’importe ? Sans s’arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encore vous en dire un usage,
Il fait venir l’esprit et la raison.
Nous le voyons en maint bestiole.
Avant que Lise allât en cette école,
Lise n’était qu’un misérable oison.
Coudre & filer était son exercice ;
Non pas le sien, mais celui de ses doigts ;
Car que l’esprit eût part à cet office,
Ne le croyez pas ; il n’était nul emplois
Où Lise pût avoir l’âme occupée :
Lise songeait autant que sa poupée.
Cent fois le jour sa mère lui disait,
Va-t-en chercher de l’esprit, malheureuse.
La pauvre fille aussitôt s’en allait
Chez ses voisins, affligée & honteuse,
On en riait ; à la fin on lui dit,
Allez trouver le père Bonaventure,
Car il en a bonne provision.
Incontinent la jeune créature
S’en va le voir, non sans confusion :
Elle craignait que ce ne fût dommage
De détourner un tel personnage.
Me voudrait-il faire de tels présents
A moi qui n’ai que quatorze ou quinze ans ?
Vaux-je cela ? disait en soi la belle.
Son innocence augmentait ses appas :
Amour n’avait à son croc de pucelle
Dont il crût faire un aussi bon repas.
Mon Révérend, dit-elle au béat homme,
Je viens vous voir ; des personnes m’ont dit,
Qu’en ce Couvent on vendait de l’esprit :
Vôtre plaisir ferait-il qu’à crédit
J’en pûsse avoir ? Non pas pour grosse somme ;
A gros achat mon trésor ne suffit :
Je reviendrait s’il m’en faut davantage :
Et cependant prenez ceci en gage.
A ce discours, je sais quel anneau,
Qu’elle tirait de son doigt avec peine,
Ne venant point, le Père dit, tout beau,
Nous pourvoirons à ce qui vous amène
Sans exiger nul salaire de vous :
Il est marchande & marchande entre nous :
A l’une on vend ce qu’à d’autres on donne.
Entrez ici, suivez-moi hardiment ;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend,
Tous sont au chœur ; le portier est personne
Entièrement à ma dévotion ;
Et ces murs ont de la discrétion.
Elle le suit, ils vont à sa Cellule.
Mon Révérend la jette sur un lit ;
Veut la baiser, la pauvrette recule
Un peu la tête, & l’innocente dit :
Quoi, c’est ainsi qu’on donne de l’esprit ?
Et vraiment oui, repart sa Révérence ;
Puis il lui met la main sur le téton.
Encore ainsi ? Vraiment, oui, comment donc ?
La belle prend le tout en patience :
Il suit sa pointe, & d’encore en encore,
Toujours l’esprit s’insinue & s’avance,
Tant & si bien qu’il arrive à bon port.
Lise riait du succès de la chose.
Bonaventure à ce moment là
Donne d’esprit une seconde dose.
Ce ne fut pas tout, une autre succéda ;
La charité du beau Père était grande.
Et bien, dit-il, que pensez-vous du jeu ?
A nous venir l’esprit tarde bien peu,
reprit la belle ; & puis elle demande,
Mais s’il s’en va ? Nous verrons ;
D’autres secrets se mettent en usage.
N’en cherchez point, dit Lise, davantage ;
De celui-ci nous recommencerons
Au pis aller, tant & tant qu’il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise.
Le secret même encore se répéta
Par le même Pater ; il aimait cette danse.
Lise lui fait une humble révérence ;
Et s’en retourne en songeant à cela.
Lise songer ! Quoi déjà Lise songe !
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu’on lui demanderait,
Sans y manquer, d’où ce retard venait.
Deux jours après, sa compagne Nanette
S’en vient la voir : pendant leur entretien
Lise rêvait : Nanette comprit bien,
Comme elle était clairvoyante & finette,
Que Lise alors ne rêvait pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout.
L’autre n’était pas à l’ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout,
De point en point lui conte le mystère,
Dimensions de l’esprit du beau Père,
Et les encore, enfin tout le Phoebé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grâce
Quand et par qui l’esprit vous fut donné.
Anne reprit : puisqu’il faut que je fasse
Un libre aveu, c’est vôtre frère Alain
Qui m’a donné de l’esprit un beau matin.
Mon frère Alain ! Alain ! S’écria Lise,
Alain mon frère ! Ah, je suis bien surprise ;
Il n’en a point, comment en donnerait-il ?
Sotte, dit l’autre. Hélas ! Tu n’en sais guère :
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n’es besoin que l’on soit si subtil.
Ne me crois tu pas ? Sache-le de ta mère,
Elle est experte au fait dont il s’agit ;
Sur ce point là l’on t’aura bientôt dit,
Vivent les sots pour donner de l’esprit.