Château-Thierry
Livre VI, fable 20
La déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, [1]
On la fit déloger des Cieux.
Chez l’Animal qu’on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts,
Elle et Que-si-Que-non [2], son frère,
Avec que Tien-et-Mien, [3] son père.
Elle nous fit l’honneur en ce bas univers
De préférer notre hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés, [4]
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire,
De la Discorde n’ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandait qu’elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l’avertir ; et l’autre, diligente,
Courait vite aux débats et prévenait [5] la paix,
Faisait d’une étincelle un feu long à s’éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l’on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine ;
Bien souvent l’on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu’elle eût un séjour affecté,
Un séjour d’où l’on pût en toutes les familles
L’envoyer à jour arrêté.
Comme il n’était alors aucun couvent de filles,
On y trouva difficulté.
L’auberge enfin de l’Hyménée
Lui fut pour maison assignée.
[1] Allusion au jugement de Paris. Le berger Paris donna le prix de beauté : une pomme, à Vénus, ce qui provoqua la haine de Junon et de Minerve...et eut pour suite la guerre de Troie. Le ton des premiers vers relève du burlesque !
[2] l’esprit de contradiction
[3] le sens de la propriété qui conduit à la chicane ...
[4] qui sont aux antipodes
[5] devançait