Château-Thierry
Livre I, fable 19
Dans ce récit je prétends faire voir
D’un certain Sot la remontrance vaine.
Un jeune Enfant dans l’eau se laissa choir,
En badinant [1] sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu’un saule se trouva
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d’école ;
L’enfant lui crie : Au secours, je péris.
Le Magister, [2] se tournant à ses cris,
D’un ton fort grave à contretemps s’avise
De le tancer [3] : Ah le petit Babouin ! [4]
Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux, qu’il faille
Toujours veiller à semblable canaille ! [5]
Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort !
Ayant tout dit, il mit l’Enfant à bord. [6]
Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense.
Tout babillard, tout censeur [7], tout pédant, [8]
Se peut connaître au discours que j’avance :
Chacun des trois fait un peuple fort grand ;
Le Créateur en a béni l’engeance. [9]
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d’exercer leur langue.
Hé mon ami, tire-moi de danger ;
Tu feras après ta harangue.
[1] en jouant
[2] maître d’école de village, qui enseigne à lire aux jeunes
paysans (dict. de Furetière)
[3] gronder
[4] garnement, enfant qui mérite des réprimandes (dict. du
français classique : XVIIème)
[5] péjoratif : jeune enfant (source id. 4)
[6] il le tira de l’eau
[7] celui qui reprend, qui critique avec malveillance( souce id. 4)
[8] maître d’école, précepteur (source id. 4)
[9] l’a fait prospérer et multiplier