Château-Thierry
Livre IX, fable 8
Jamais auprès des fous ne te mets à portée :
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n’est enseignement pareil
À celui-là de fuir une tête éventée. [1]
On en voit souvent dans les cours :
Le Prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours
Quelque trait [2] aux fripons, aux sots, aux ridicules.
Un Fol allait criant par tous les carrefours
Qu’il vendait la sagesse ; et les mortels crédules
De courir à l’achat : chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces ;
Puis on avait pour son argent
Avec un bon soufflet un fil long de deux brasses. [3]
La plupart s’en fâchaient ; mais que leur servait-il ?
C’étaient les plus moqués ; le mieux était de rire,
Ou de s’en aller, sans rien dire,
Avec son soufflet et son fil.
De chercher [4] du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi qu’un ignorant.
La raison est-elle garant
De ce que fait un fou ? Le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes [5] un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,
Lui dit : Ce sont ici hiéroglyphes [6] tout purs.
Les gens bien conseillés, [7] et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront pour l’ordinaire
La longueur de ce fil ; sinon je les tiens sûrs [8]
De quelque semblable caresse.
Vous n’êtes point trompé : ce Fou vend la sagesse.
[1] écervelée
[2] attaque satirique
[3] longueur de 2 bras étendus
[4] quant à chercher
[5] un de ceux qui furent victimes par stupidité
[6] "Symbole qui consiste en quelque figure d’animaux ou de corps naturels et qui sans l’aide des paroles, marque le caractère d’une personne ou d’une raison divine ou sacrée"
[7] bien avisés, bien inspirés
[8] ils seront sûrs de recevoir....