Musée Jean de La Fontaine

Château-Thierry

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Contes :
Jument (La) du compère Pierre

Messire Jean (c’estoit certain Curé

Qui preschoit peu, sinon sur la Vendange)

Sur ce sujet, sans estre préparé,

Il triomphoit ; vous eussiez dit un Ange.

Encore un poinct estoit touché de luy,

Non si souvent qu’eust voulu le Messire ;

Et ce poinct là les enfans d’aujourd’huy

Sçavent que c’est, besoin n’a de le dire.

Messire Jean, tel que je le descris,

Faisoit si bien que femmes et maris

Le recherchoient, estimoient sa science ;

Au demeurant, il n’estoit conscience

Un peu jolie, et bonne à diriger,

Qu’il ne voulust luy mesme interroger,

Ne s’en fiant aux soins de son Vicaire.

Messire Jean auroit voulu tout faire,

S’entremettoit en zelé directeur,

Alloit par tout, disant qu’un bon Pasteur

Ne peut trop bien ses oüailles connoistre,

Dont par luy mesme instruit en vouloit estre.

Parmi les gens de luy les mieux venus,

Il frequentoit chez le compere Pierre,

Bon villageois, à qui pour toute terre,

Pour tout domaine, et pour tous revenus,

Dieu ne donna que ses deux bras tout nus,

Et son louchet, dont, pour toute ustensille,

Pierre faisoit subsister sa famille.

Il avoit femme et belle et jeune encor,

Ferme sur tout ; le hasle avoit fait tort

A son visage et non à sa personne.

Nous autres gens peut-estre aurions voulu

Du délicat ; ce rustiq ne m’eust plu :

Pour des Curez la paste en estoit bonne,

Et convenoit à semblables amours.

Messire Jean la regardoit toûjours

Du coin de l’œil, toûjours tournoit la teste

De son costé, comme un chien qui fait feste

Aux os qu’il void n’estre par trop chétifs ;

Que s’il en void un de belle apparence,

Non décharné, plein encor de substance,

Il tient dessus ses regards attentifs :

Il s’inquiete, il trepigne, il remüe

Oreille et queüe ; il a toujours la veüe

Dessus cet os, et le ronge des yeux

Vingt fois devant que son palais s’en sente.

Messire Jean tout ainsi se tourmente

A cet objet pour luy delicieux.

La Villageoise estoit fort innocente,

Et n’entendoit aux façons du Pasteur

Mystere aucun ; ny son regard flateur

Ny ses presens ne touchoient Magdeleine :

Bouquets de thin et pots de Marjolaine

Tomboient à terre : avoir cent menus soins,

C’estoit parler bas-breton tout au moins.

Il s’avisa d’un plaisant stratagême.

Pierre estoit lourd, sans esprit : je crois bien

Qu’il ne se fust précipité luy mesme,

Mais par delà de luy demander rien

C’estoit abus et trés grande sottise.

L’autre luy dit : Compere mon ami,

Te voila pauvre, et n’ayant à demi

Ce qu’il te faut ; si je t’apprends la guise

Et le moyen d’estre un jour plus contant

Qu’un petit Roy, sans te tourmenter tant,

Que me veux tu donner pour mes estreines ?

Pierre répond : Parbleu ! messire Jean,

Je suis à vous ; disposez de mes peines,

Car vous sçavez que c’est tout mon vaillant.

Nôtre cochon ne nous faudra pourtant ;

Il a mangé plus de son, par mon ame !

Qu’il n’en tiendroit trois fois dans ce tonneau,

Et d’abondant, la vache à nôtre femme

Nous a promis qu’elle feroit un veau :

Prenez le tout. Je ne veux nul salaire,

Dit le Pasteur ; obliger mon compere

Ce m’est assez. Je te diray comment :

Mon dessein est de rendre Magdeleine

Jument le jour, par art d’enchantement,

Luy redonnant sur le soir forme humaine.

Trés-grand profit pourra certainement

T’en revenir ; car mon Asne est si lent,

Que du marché, l’heure est presque passée

Quand il arrive ; ainsi tu ne vends pas

Comme tu veux, tes herbes, ta denrée,

Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas.

Ta femme, estant jument forte et menbrüe,

Ira plus viste ; et si tost que chez toy :

Elle sera du marché revenuë,

Sans pain ny soupe, un peu d’herbe menuë

Luy suffira. Pierre dit : Sur ma foy !

Messire Jean, vous estes un sage homme.

Voyez que c’est d’avoir étudié !

Vend-on cela ? Si j’avois grosse somme,

Je vous l’aurois parbleu bien tost payé.

Jean poursuivit : Or çà, je t’aprendray

Les mots, la guise, et toute la maniere

Par où jument, bien faite et pouliniere,

Auras de jour, belle femme de nuit.

Corps, teste, jambe, et tout ce qui s’ensuit

Luy reviendra ; tu n’as qu’à me veoir faire.

Tay-toy sur tout ; car un mot seulement

Nous gasteroit tout nôtre enchantement ;

Nous ne pourrions revenir au mystere,

De nostre vie : encore un coup, motus,

Bouche cousüe ; ouvre les yeux sans plus :

Toy mesme aprés pratiqueras la chose.

Pierre promet de se taire, et Jean dit :

Sus, Magdeleine ; il se faut, et pour cause,

Despouiller nüe et quiter cet habit.

Dégrafez-moy cet atour des Dimanches.

Fort bien. Ostez ce corset et ces manches :

Encore mieux. Défaites ce jupon :

Trés-bien cela. Quant vint à la chemise,

La pauvre Epouse eut en quelque façon

De la pudeur. Estre nue ainsi mise

Aux yeux des gens ! Magdeleine aymoit mieux

Demeurer femme, et juroit ses grands Dieux

De ne souffrir une telle vergogne.

Pierre luy dit : Voila grande besogne !

Et bien, tous deux nous sçaurons comme quoy

Vous estes faite ; est-ce, par vostre foy,

Dequoy, tant craindre ? Et là, là, Magdeleine,

Vous n’avez pas toûjours eu tant de peine

A tout oster. Comment donc faites-vous

Quand vous cherchez vos puces ? dites-nous.

Messire Jean est-ce quelqu’un d’étrange ?

Que craignez-vous ? Hé quoy ? qu’il ne vous mange ?

Ça depeschons : c’est par trop marchandé

Depuis le temps, Monsieur nostre Curé

Auroit des-ja parfait son entreprise.

Disant ces mots, il oste la chemise,

Regarde faire, et ses lunettes prend.

Messire Jean par le nombril commence,

Pose dessus une main en disant :

Que cecy soit beau poitrail de Jument.

Puis cette main dans le pays s’avance.

L’autre s’en va transformer ces deux monts

Qu’en nos climats les gens nomment tetons ;

Car, quant à ceux qui sur l’autre hemisphere

Sont étendus, plus vastes en leur tour,

Par reverence on ne les nomme guere.

Messire Jean leur fait aussi sa cour,

Disant toôjours, pour la ceremonie,

Que cecy soit telle ou telle partie,

Ou belle croupe, ou beaux flancs, tout enfin.

Tant de façons mettoient Pierre en chagrin ;

Et, ne voyant nul progrés à la chose,

Il prioit Dieu pour la Métamorphose.

C’estoit en vain ; car de l’enchantement

Toute la force et l’accomplissement

Gisoit à mettre une queuë à la beste.

Tel ornement est chose fort honneste :

Jean, ne voulant un tel poinct oublier,

L’attache donc. Lors Pierre de crier

Si haut qu’on l’eust entendu d’une lieuë :

Messire Jean, je n’y veux point de queuë !

Vous l’attachez trop bas, Messire Jean !

Pierre à crier ne fut si diligent,

Que bonne part de la ceremonie

Ne fust des-ja par le Prestre accomplie.

A bonne fin le reste auroit esté,

Si, non contant d’avoir des-ja parlé,

Pierre encor n’eust tiré par la Soutane

Le Curé Jean, qui luy dit : Foin de toy !

T’avois-je pas recommandé, gros asne,

De ne rien dire, et de demeurer coy ?

Tout est gasté ; ne t’en pren qu’à toy-mesme.

Pendant ces mots, l’Epoux gronde à part soy.

Magdeleine est en un courroux extreme,

Querelle Pierre, et luy dit : Malheureux !

Tu ne seras qu’un miserable gueux

Toute ta vie ! Et puis vien-t’en me braire,

Vien me conter ta faim et ta douleur !

Voyez un peu, Monsieur nostre Pasteur

Veut de sa grace à ce traisne-malheur

Monstrer dequoy finir nostre misere :

Merite-t-il le bien qu’on luy veut faire ?

Messire Jean, laissons là cet oyson :

Tous les matins, tandis que ce veau lie

Ses choux, ses aulx, ses herbes, son oignon,

Sans l’avertir venez à la maison ;

Vous me rendrez une Jument polie.

Pierre reprit : Plus de Jument, mamie ;

Je suis contant de n’avoir qu’un grison.