Château-Thierry
Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure [1] en fit l’annonce ; et Gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :
Ce ne fut pas sans bien tourner.
L’un alléguait que l’héritage
Etait frayant [2] et rude, et l’autre un autre si. [3]
Pendant qu’ils marchandaient ainsi,
Un d’eux le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d’en rendre tant, [4] pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l’air,
Lui donnât saison à sa guise,
Qu’il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
Enfin du sec et du mouillé,
Aussitôt qu’il aurait bâillé.
Jupiter y consent. Contrat passé ; notre homme
Tranche du roi des airs, [5] pleut, vente, et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s’en sentaient [6] non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage ; ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée.
Monsieur le Receveur [7] fut très mal partagé.
L’an suivant, voilà tout changé,
Il ajuste d’une autre sorte
La température des cieux.
Son champ ne s’en trouve pas mieux.
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il ? Il recourt au Monarque des dieux :
Il confesse son imprudence.
Jupiter en usa comme un maître fort doux.
Concluons que la Providence
Sait ce qu’il nous faut mieux que nous .
[1] le messager des Dieux
[2] était coûteux, occasionnait des frais
[3] si était un nom commun, dans le sens d’affirmation ou de condition
[4] d’en obtenir un tel rendement
[5] fait le souverain
[6] ne s’en ressentaient
[7] Qui reçoit pour autrui. Les fermiers des terres seigneuriales s’appellent des Receveurs. (Dict. Furetière)