Château-Thierry
Notre fabuliste dans cette fable du livre I, publiée en 1668, s’est inspiré de Phèdre ( né vers 14 avant J.C mort vers 50 après J.C, qui était un fabuliste latin d’origine thrace, affranchi de l’empereur. À peu près le tiers de son œuvre était repris d’Ésope dont il adaptait les fables .
Cette fable est un hymne à la liberté de vivre affranchi d’un maître, même si le prix a payer pour le loup est de ne pas manger à sa faim tous les jours.
Un Loup n’avait que les os et la peau ;
Tant les Chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, [1] qui s’était fourvoyé [2] par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, [3] haires, [4] et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré, point de franche lippée. [5]
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ; [6]
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs [7] de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité [8]
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu’est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de chose.
Mais encor ? [9] Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu’importe ?
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
[1] le poil luisant
[2] perdu
[3] se dit proverbialement d’un homme pauvre qui n’est capable de faire ni bien ni mal (Furetière)
[4] pauvre hère
[5] signifie au propre autant de viande qu’on en peut emporter avec la lippe, ou les lèvres (Furetière)
[6] portants et mendiants prennent un "s", pourtant, ce sont des participes présent ; ce n’est qu’à partir de 1679 que l’Académie déclarera qu’ils doivent rester invariables.
[7] restes
[8] joie
[9] En vieux français le e était omis