Musée Jean de La Fontaine

Château-Thierry

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Fables :
Loup (Le), la Chèvre et le Chevreau

Livre IV, Fable XV

Voici la première de deux fables jumelées, procédé
déjà rencontré dans : "La Mort et le Malheureux,
La Mort et le Bûcheron", entre autres.
Elle trouve sa source de l’Anonyme de Nevelet (II, 10).On y reconnaît l’expression de la protection maternelle sécurisante...

Le Loup, la Chèvre et le Chevreau

La bique allant remplir sa traînante mamelle,
Et paître l’herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet :
« Gardez-vous, sur votre vie,
D’ouvrir que l’on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet (1) :
« Foin (2) du loup et de sa race !" »
Comme elle disait ces mots,
Le loup de fortune (3) passe ;
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.
La bique, comme on peut croire,
N’avait pas vu le glouton.
Dès qu’il la voit partie, il contrefait son ton,
Et d’une voix papelarde (4)
Il demande qu’on ouvre en disant : « Foin du loup ! »
Et croyant entrer tout d’un coup.
Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
« Montrez-moi patte blanche, ou je n’ouvrirai point, »
S’écria-t-il d’abord. (Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.)
Celui-ci, fort surpris d’entendre ce langage,
Comme il était venu s’en retourna chez soi.
Où serait le biquet s’il eût ajouté foi
Au mot du guet, que de fortune
Notre loup avait entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu’une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

(1) pour signe de reconnaissance et mot de passe
(2) marque au 17ème, le dépit, l’agacement, la
répulsion.
(3) par hasard
(4) hypocrite

La seconde fable trouve sa source d’Esope "Le loup et la vieille" (recueil Nevelet).
Le lien entre les deux fables est certainement l’attitude du loup trop avide, qui ne réussit pas dans son entreprise.

LE LOUP, LA MERE ET L’ENFANT

Ce Loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris
Il y périt ; voici l’histoire.
Un Villageois avait à l’écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute (1) à la porte.
"Il avait vu sortir gibier de toute sorte
Veaux de lait, Agneaux et Brebis,
Régiments de Dindons, enfin bonne provende (2).
Le Larron commençait pourtant à s’ennuyer.
Il entend un Enfant crier.
La Mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s’il ne se tait,
De le donner au Loup. L’Animal se tient prêt,
Remerciant les Dieux d’une telle aventure,
Quand la Mère, apaisant sa chère Géniture,
Lui dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuerons.
Qu’est ceci ? s’écria le mangeur de Moutons.
Dire d’un, puis d’un autre ? Est-ce ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moi ? Me prend-on pour un sot ?
Que quelque jour ce beau Marmot
Vienne au bois cueillir la noisette !
Comme il disait ces mots, on sort de la maison.
Un Chien de cour l’arrête. Epieux et fourches-fières (3)
L’ajustent (4) de toutes manières.
Que veniez-vous chercher en ce lieu ? lui dit-on.
Aussitôt il conta l’affaire.
Merci de moi, lui dit la Mère,
Tu mangeras mon Fils ! L’ai-je fait à dessein
Qu’il assouvisse un jour ta faim ?
On assomma la pauvre Bête.
Un Manant lui coupa le pied droit et la tête
Le Seigneur du village à sa porte les mit,
Et ce dicton picard à l’entour fut écrit
Biaux chires Leups, n ‘écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie.

(1) bonne aubaine
(2) provisions, nourriture
(3) fourche ou croc à long manche et à dents de fer
(4) le tiennent en respect
(5)