Château-Thierry
Un animal cornu blessa de quelques coups [1]
Le lion, qui plein de courroux,
Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de son domaine [2]
Toute bête portant des cornes à son front.
Chèvres, Béliers, Taureaux aussitôt délogèrent,
Daims et Cerfs de climat changèrent ; [3]
Chacun à s’en aller fut prompt.
Un lièvre, apercevant l’ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque Inquisiteur [4]
N’allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les soutînt en tout à des cornes pareilles.
Adieu, voisin grillon, dit-il, je pars d’ici.
Mes oreilles enfin seraient cornes aussi ;
Et quand je les aurais plus courtes qu’une Autruche,
Je craindrais même encor. Le Grillon repartit :
Cornes cela ? Vous me prenez pour cruche ;
Ce sont oreilles que Dieu fit. [5]
On les fera passer pour cornes,
Dit l’animal craintif, et cornes de Licornes.
J’aurai beau protester ; mon dire et mes raisons
Iront aux Petites-Maisons. [6]
[1] motivation de la décision du lion
[2] motivation
[3] changèrent de pays
[4] "un des juges établi pour connaître des hérétiques"(Richelet). La Fontaine songe à un tribunal ecclésiastique.(G. Couton, Fables, Garnier)
[5] et ce que Dieu fait ne peut être hérétique...
[6] hôpital réservé aux malades mentaux. L’expression était dans le domaine du proverbe. Ici : seront taxées de folie