Château-Thierry
PHEBUS ET BOREE
Borée [1] et le Soleil virent un Voyageur
Qui s’était muni [2] par bonheur
Contre le mauvais temps ( on entrait dans l’automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut ; le soleil luit ; et l’écharpe d’Iris
Rend ceux qui sortent avertis [3]
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire.
Les Latins les nommaient douteux pour cette affaire [4].
Notre homme s’était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents ; mais il n’a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte
Qu’il n’est bouton qui tienne ; il faudra, si je veux,
Que le manteau s’en aille au Diable.
L’ébattement (5) pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? Eh bien, gageons nous deux,
(Dit Phébus), sans tant de paroles,
A qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du Cavalier que nous voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n’en fallut pas plus. Notre Souffleur à gage [5]
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon ;
Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais , fait périr maint bateau :
Le tout au sujet du manteau.
Le Cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans ;
Cela le préserva : le Vent perdit son temps :
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme ;
Il eut beau faire agir le collet et les plis [6].
Sitôt qu’il fut au bout du terme [7]
Qu’à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,
Recrée [8], et puis pénètre enfin le Cavalier,
Sous son balandras [9] fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
Plus fait douceur que violence