Château-Thierry
Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi [1] que c’est folie ;
Car de le rattraper il [2] n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’était encore que fretin [3]
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le [4] en notre gibecière.
Le pauvre Carpillon lui fit (*) en sa manière [5] :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée.
Laissez-moi Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan [6] m’achètera bien cher :
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi, rien qui vaille.
Rien qui vaille et bien soit, repartit le Pêcheur :
Poisson mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire ;
Dès ce soir on vous fera frire.
Un tien [7] vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras ;
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.