Musée Jean de La Fontaine

Château-Thierry

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Fables :
Philemon et Baucis

Livre XII, Fable XXII

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux ;

Ces deux divinités n’accordent à nos voux

Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquille :

Des soucis dévorants c’est l’éternel asile ;

Véritables Vautours, que le fils de Japet [1]

Représente, enchaîné sur son triste sommet.

L’humble toit est exempt d’un tribut si funeste :

Le Sage y vit en paix, et méprise le reste ;

Content de ces douceurs, errant parmi les bois,

Il regarde à ses pieds les favoris des Rois ;

Il lit au front de ceux qu’un vain luxe environne

Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.

Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,

Rien ne trouble sa fin : c’est le soir d’un beau jour.

Philémon et Baucis nous en offrent l’exemple :

Tous deux virent changer leur cabane en un temple.

Hyménée et l’Amour, par des désirs constants,

Avaient uni leurs cours dès leur plus doux printemps.

Ni le temps ni l’hymen n’éteignirent leur flamme ;

Clothon [2] prenait plaisir à filer cette trame.

Ils surent cultiver, sans se voir assistés,

Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.

Eux seuls ils composaient toute leur république :

Heureux de ne devoir à pas un domestique

Le plaisir ou le gré [3] des soins qu’ils se rendaient !

Tout vieillit : sur leur front les rides s’étendaient ;

L’amitié modéra leurs feux sans les détruire,

Et par des traits d’amour sut encor se produire.

Ils habitaient un bourg plein de gens dont le cœur

Joignait aux duretés un sentiment moqueur.

Jupiter résolut d’abolir cette engeance.

Il part avec son fils, le Dieu de l’Eloquence ;

Tous deux en pèlerins vont visiter ces lieux :

Mille logis y sont, un seul ne s’ouvre aux Dieux.

Prêts enfin à quitter un séjour si profane,

Ils virent à l’écart une étroite cabane,

Demeure hospitalière, humble et chaste maison.

Mercure frappe : on ouvre ; aussitôt Philémon

Vient au-devant des Dieux, et leur tient ce langage :

Vous me semblez tous deux fatigués du voyage,

Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ;

L’aide des Dieux a fait que nous le conservons ;

Usez-en ; saluez ces Pénates d’argile :

Jamais le Ciel ne fut aux humains si facile

Que quand Jupiter même était de simple bois ;

Depuis qu’on l’a fait d’or, il est sourd à nos voix.

Baucis, ne tardez point : faites tiédir cette onde ;

Encor que le pouvoir au désir ne réponde,

Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus.

Quelques restes de feu sous la cendre épandus

D’un souffle haletant par Baucis s’allumèrent :

Des branches de bois sec aussitôt s’enflammèrent.

L’onde tiède, on lava les pieds des Voyageurs.

Philémon les pria d’excuser ces longueurs ;

Et, pour tromper l’ennui d’une attente importune,

Il entretint les Dieux, non point sur la fortune,

Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des Rois,

Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois

Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.

Cependant par Baucis le festin se prépare.

La table où l’on servit le champêtre repas

Fut d’ais non façonnés à l’aide du compas :

Encore assure-t-on, si l’histoire en est crue,

Qu’en un de ses supports le temps l’avait rompue.

Baucis en égala les appuis chancelants

Du débris d’un vieux vase, autre injure des ans.

Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :

Il ne servait pourtant qu’aux fêtes solennelles.

Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tous mets,

D’un peu de lait, de fruits, et des dons de Cérès.

Les divins voyageurs, altérés de leur course,

Mêlaient au vin grossier le cristal d’une source.

Plus le vase versait, moins il s’allait vidant :

Philémon reconnut ce miracle évident ;

Baucis n’en fit pas moins : tous deux s’agenouillèrent ;

A ce signe d’abord leurs yeux se dessillèrent.

Jupiter leur parut avec ces noirs sourcils

Qui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.

Grand Dieu, dit Philémon, excusez notre faute :

Quels humains auraient cru recevoir un tel hôte ?

Ces mets, nous l’avouons, sont peu délicieux :

Mais, quand nous serions Rois, que donner à des Dieux ?

C’est le cœur qui fait tout : que la terre et que l’onde

Apprêtent un repas pour les Maîtres du monde ;

Ils lui préféreront les seuls présents du cœur. »

Baucis sort à ces mots pour réparer l’erreur.

Dans le verger courait une perdrix privée,

Et par de tendres soins dès l’enfance élevée ;

Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain :

La volatile échappe à sa tremblante main ;

Entre les pieds des Dieux elle cherche un asile.

Ce recours à l’oiseau ne fut pas inutile :

Jupiter intercède. Et déjà les vallons

Voyaient l’ombre en croissant tomber du haut des monts.

Les Dieux sortent enfin, et font sortir leurs Hôtes.

De ce bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes :

Suivez-nous. Toi, Mercure, appelle les vapeurs.

O gens durs ! vous n’ouvrez vos logis ni vos cours !

Il dit : et les autans troublent déjà la plaine.

Nos deux époux suivaient, ne marchant qu’avec peine ;

Un appui de roseau soulageait leurs vieux ans :

Moitié secours des Dieux, moitié peur, se hâtants,

Sur un mont assez proche enfin ils arrivèrent ;

A leurs pieds aussitôt cent nuages crevèrent.

Des Ministres du Dieu les escadrons flottants

Entraînèrent, sans choix, animaux, habitants,

Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure ;

Sans vestige du bourg, tout disparut sur l’heure.

Les vieillards déploraient ces sévères destins.

Les animaux périr ! car encor les humains,

Tous avaient dû tomber sous les célestes armes.

Baucis en répandit en secret quelques larmes.

Cependant l’humble toit devient temple, et ses murs

Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs.

De pilastres massifs les cloisons revêtues

En moins de deux instants s’élèvent jusqu’aux nues ;

Le chaume devient or ; tout brille en ce pourpris ; [4]

Tous ces événements sont peints sur le lambris.

Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d’Apelle ! [5]

Ceux-ci furent tracés d’une main immortelle.

Nos deux Epoux, surpris, étonnés, confondus,

Se crurent, par miracle, en l’Olympe rendus.

Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures ;

Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures

Pour présider ici sur les honneurs divins,

Et prêtres vous offrir les vœux des pèlerins ?

Jupiter exauça leur prière innocente.

Hélas ! dit Philémon, si votre main puissante

Voulait favoriser jusqu’au bout deux mortels,

Ensemble nous mourrions en servant vos autels :

Clothon ferait d’un coup ce double sacrifice ;

D’autres mains nous rendraient un vain et triste office :

Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux

Ne troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux.

Jupiter à ce vœu fut encor favorable.

Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ?

Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis

Ils contaient cette histoire aux pèlerins ravis,

La troupe, à l’entour d’eux, debout prêtait l’oreille ;

Philémon leur disait : Ce lieu plein de merveille

N’a pas toujours servi de temple aux Immortels :

Un bourg était autour, ennemi des autels,

Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies ;

Du céleste courroux tous furent les hosties.

Il ne resta que nous d’un si triste débris :

Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris ;

Jupiter l’y peignit. En contant ces annales,

Philémon regardait Baucis par intervalles ;

Elle devenait arbre, et lui tendait les bras ;

Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.

Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée.

L’un et l’autre se dit adieu de la pensée :

Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois.

D’étonnement la troupe, ainsi qu’eux, perd la voix,

Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;

Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.

On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu’en hymen Amour leur fit goûter :

Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.

Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,

Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans.

Ah ! si. .. Mais autre part j’ai porté mes présents.

Célébrons seulement cette métamorphose.

Des fidèles témoins m’ayant conté la chose,

Clio [6] conseilla de l’étendre en ces vers,

Qui pourront quelque jour l’apprendre à l’univers :

Quelque jour on verra chez les Races futures

Sous l’appui d’un grand nom passer ces aventures.

Vendôme, consentez au los [7] que j’en attends :

Faites-moi triompher de l’Envie et du Temps ;

Enchaînez ces démons, que sur nous ils n’attentent,

Ennemis des Héros et de ceux qui les chantent.

Je voudrais pouvoir dire en un style assez haut

Qu’ayant mille vertus vous n’avez nul défaut.

Toutes les célébrer serait œuvre infinie ;

L’entreprise demande un plus vaste génie :

Car quel mérite enfin ne vous fait estimer ?

Sans parler de celui qui force à vous aimer ?

Vous joignez à ces dons l’amour des beaux ouvrages,

Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages :

Don du Ciel, qui peut seul tenir lieu des présents

Que nous font à regret le travail et les ans.

Peu de gens élevés, peu d’autres encor même,

Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.

Si quelque enfant des Dieux les possède, c’est vous ;

Je l’ose dans ces vers soutenir devant tous.

Clio, sur son giron, à l’exemple d’Homère,

Vient de les retoucher, attentive à vous plaire :

On dit qu’elle et ses sœurs, par l’ordre d’Apollon,

Transportent dans Anet tout le sacré Vallon :

Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages

Des arbres dont ce lieu va border ses rivages !

Puissent-ils tout d’un coup élever leurs sourcis, [8]

Comme on vit autrefois Philémon et Baucis !

[1Le fils de Japet était Prométhée enchaîné au sommet du Caucase, et dont le foie était quotidiennement rongé par les vautours.

[3reconnaissance

[4enceinte

[5illustres peintres grecs

[6muse de l’histoire

[7louanges

[8montagnes et rochers fort élevés