Château-Thierry
Contre les assauts d’un renard
Un arbre à des dindons servait de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,
S’écria : Quoi ces gens se moqueront de moi !
Eux seuls seront exempts de la commune loi !
Non, par tous les Dieux, non ! Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, semblait, contre le Sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent [1].
Lui qui n’était novice au métier d’assiégeant
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Harlequin [2] n’eût exécuté
Tant de différents personnages.
Il élevait sa queue, il la faisait briller,
Et cent mille autres badinages.
Pendant quoi nul Dindon n’eût osé sommeiller :
L’ennemi les lassait en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.
Les pauvres gens étant à la longue éblouis [3],
Toujours il en tombait quelqu’un : autant de pris,
Autant de mis à part ; près de moitié succombe.
Le Compagnon les porte en son garde-manger.
Le trop d’attention qu’on a pour le danger
Fait le plus souvent qu’on y tombe.
[1] Ce n’est pas la première fois que nous voyons les espèces animales élevées au rang de nations : "la gent marcassine" "la gent aiglonne" "la gent marécageuse".. ; évocations burlesques bien sûr
(2)
[2] Personnage de la comédie italienne. S’écrit avec un H jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
[3] Hypnotisés, pris d’étourdissements