Château-Thierry
Aux traces de son sang, un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et matois,
Blessé par des Chasseurs, et tombé dans la fange [1],
Autrefois attira ce parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.
Il accusait les Dieux, et trouvait fort étrange
Que le sort à tel point le voulut affliger,
Et le fit aux mouches manger.
Quoi ! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts ?
Depuis quand les Renards sont-ils un si bon mets ?
Et que me sert ma queue ? Est-ce un poids inutile ?
Va ! le ciel te confonde, animal importun ;
Que ne vis-tu sur le commun [2] !
Un hérisson du voisinage,
Dans mes vers nouveau personnage,
Voulut le délivrer de l’importunité
Du peuple plein d’avidité :
Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin Renard, dit-il, et terminer tes peines.
Garde-t’en bien, dit l’autre ; ami, ne le fais pas :
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux sont soûls [3] ; une troupe nouvelle
Viendrait fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote [4] appliquait cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.
Plus telles gens sont pleins [5] [6], moins ils sont importuns.
[1] Ce mot se dit proprement de la bourbe des chemins
de campagne (Richelet)
[2] peuple, multitude (Richelet)
[3] rassasiés
[4] ou plutôt Esope, selon la "Rhétorique" d’Aristote :
"De même, poursuivit Esope, ô Samiens, cet homme
désormais ne vous nuira plus, car il est riche ; mais si vous
le mettez à mort, d’autres viendront que leur pauvreté poussera à vous voler et à dissiper
[5] rassasiés
[6] cet hémistiche est une application remarquable de la règle disant que "gens" veut au féminin les adjectifs qui le
précèdent, et au masculin ceux qui le suivent.