Château-Thierry
Bertrand avec Raton, l’un Singe, et l’autre Chat,
Commensaux [1] d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat [2] ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun [3], quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté ?
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté
Était moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons ;
Les escroquer était une très bonne affaire
Nos galands [4] y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons ; si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D’une manière délicate,
Écarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant [5] Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on,
Aussi [6] ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder [7] en des Provinces,
Pour le profit de quelque Roi.
[1] officiers du roi qui étaient nourris à la cour
[2] on disait à l’époque de 2 ou 3 personnes de même "génie", qui ne valaient pas grand-chose : voilà un bon plat
[3] dans l’idée de mal faire, ils ne craignaient personne
[4] à prendre dans le sens : habile, adroit, qui réussit bien dans ses affaires
[5] pendant ce temps
[6] de même
[7] référence à Raton qui s’est brûlé la patte