Château-Thierry
Les Filles du limon [1] tiraient du Roi des astres
Assistance et protection [2].
Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres
Ne pouvaient approcher de cette Nation.
Elle faisait valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, Grenouilles veux-je dire,
Car que coûte-t-il d’appeler
Les choses par noms honorables ?
Contre leur bienfaicteur osèrent cabaler [3],
Et devinrent insupportables.
L’imprudence, l’orgueil, et l’oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,
Firent bientôt crier cette troupe importune ;
On ne pouvait dormir en paix :
Si l’on eût cru leur murmure,
Elles auraient par leurs cris
Soulevé grands et petits
Contre l’œil de la Nature [4].
Le Soleil, à leur dire, allait tout consumer ;
Il fallait promptement s’armer,
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu’il faisait un pas,
Ambassades croassantes [5]
Allaient dans tous les Etats.
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde [6]
Roulait sur les intérêts
De quatre méchants [7] marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours ; et pourtant
Grenouilles devraient se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le Soleil se pique [8],
Il le leur fera sentir.
La République aquatique
Pourrait bien s’en repentir.