Musée Jean de La Fontaine

Château-Thierry

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Fables :
Tortue (La) et les deux Canards

Livre X, Fable II

Une Tortue était, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,

Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :

Volontiers gens boiteux haïssent le logis.

Deux Canards à qui la commère

Communiqua ce beau dessein,

Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :

Voyez-vous ce large chemin ?

Nous vous voiturerons par l’air en Amérique .

Vous verrez mainte république,

Maint royaume, maint peuple ; et vous profiterez

Des différentes mœurs que vous remarquerez.

Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère

De voir Ulysse en cette affaire.

La Tortue écouta la proposition.

Marché fait [1], les Oiseaux forgent une machine

Pour transporter la pèlerine [2] .

Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.

Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.

Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.

La Tortue enlevée on s’étonne partout

De voir aller en cette guise

L’animal lent et sa maison,

Justement [3] au milieu de l’un et l’autre Oison [4].

Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues

Passer la Reine des Tortues.

La Reine : vraiment oui ; Je la suis en effet ;

Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait

De passer son chemin sans dire aucune chose ;

Car lâchant le bâton en desserrant les dents,

Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.

Son indiscrétion [5] sa perte fut cause.

Imprudence, babil, et sotte vanité,

Et vaine curiosité,

Ont ensemble étroit parentage [6].

Ce sont enfants tous d’un lignage [7] .

[1l’affaire une fois conclue

[2la voyageuse

[3exactement

[4liberté prise par L.F.,
l’oison est le petit d’une oie...

[5son manque de jugement

[6parenté ; vieux mot

[7d’une même race