Château-Thierry
Un octogénaire plantait. [1]
Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge !
Disaient trois Jouvenceaux, enfants du voisinage ;
Assurément il radotait.
Car au nom des Dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu’un patriarche il vous faudrait vieillir.
À quoi bon charger votre vie
Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées ;
Tout cela ne convient qu’à nous.
Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le Vieillard. Tout établissement [2]
Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes [3] sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d’un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :
Hé bien défendez-vous au Sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui :
J’en puis jouir demain, et quelques jours encore ;
Je puis enfin compter l’aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux.
Le Vieillard eut raison ; l’un des trois Jouvenceaux
Se noya dès le port allant à l’Amérique.
L’autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la République, [4]
Par un coup imprévu vit ses jours emportés.
Le troisième tomba d’un arbre
Que lui-même il voulut enter ; [5]
Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.