Les Fables de Jean de La Fontaine
Araignée (L’) et l’Hirondelle
Ô Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret d’accouchement nouveau,
Tirer Pallas [[ Pallas sortit de la tête de Zeus (Jupiter) Pallas (Minerve) métamorphosa Arachné en araignée parce qu'elle l'avait défiée dans l'art de la broderie (Ovide, Métamorphoses, VI, 1-145)]] , jadis mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie.
Progné [[ dans la mythologie, Philomèle avait été transformée en rossignol, Progné en hirondelle, Térée en huppe]] me vient enlever les morceaux
Caracolant, frisant l’air et les eaux
Elle me prend mes mouches à ma porte
Miennes je puis les dire ; et mon réseau
En serait plein sans ce maudit Oiseau ;
Je l’ai tissu [[tissé. Participe passé de l'ancien français tistre, tisser.]] de matière assez forte.
Ainsi, d’un discours insolent,
Se plaignait l’Araignée autrefois tapissière,
Et qui, lors étant filandière,
Prétendait enlacer tout insecte volant.
La soeur de Philomèle [[Donc, Progné l'hirondelle]], attentive à sa proie,
Malgré le bestion [[l'araignée]] happait mouches dans l’air,
Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie,
Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert,
D’un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encor mal entendus.
La pauvre Aragne n’ayant plus
Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se vit elle-même enlevée.
L’Hirondelle en passant emporta toile, et tout,
Et l’animal pendant au bout,
Jupin pour chaque état [[condition sociale]] mit deux tables au monde.
L’adroit, le vigilant, et le fort sont assis
À la première ; et les petits
Mangent leur reste à la seconde.